Retour à Adam Smith

En avril 1991, j’ai publié un long traité sur l’état du monde. Mes écrits ont été inspirés par le livre de Lester Brown qui a dressé un tableau sinistre des dures réalités auxquelles nous sommes confrontés. Alors que je préparais la participation de la Fondation ZERI (alors encore une organisation suisse établie en coopération avec le Programme des Nations Unies pour le développement et le World Business Council for Sustainable Development) à l’Exposition universelle, j’ai souhaité brosser une série de solutions. Si je partageais les dures intuitions de Lester Brown, je n’étais pas d’accord avec ses prédictions. J’étais – et je reste – convaincu que nous pouvons changer de cap ! Dans le contexte du verrouillage du monde imposé par les virologues, je vous suggère de lire le point 7 de la page 16 pour comprendre les défis auxquels nous sommes réellement confrontés en matière de santé.

Le 6 Avril 2020

RETOUR À ADAM SMITH

Il y a de la lumière au bout du tunnel

 

Article par Gunter Pauli
Juillet 1999

Introduction à la réédition 21 ans après

Lorsque cet article a attiré mon attention en cette période de blocage, j’ai réalisé ce qu’une approche méthodologique peut nous apprendre sur la façon d’envisager l’avenir. Voici les observations que j’ai faites il y a plus de vingt ans, alors que je me préparais à présenter le concept de l’économie bleue et la norme selon laquelle le zéro émission et le zéro déchet sont le point de départ et non un objectif final.

 

1. L’économie n’est pas une science. Malheureusement, je dois maintenant conclure que bon nombre des sciences traditionnelles, comme la biologie et la chimie, ont un besoin urgent d’une révision fondamentale. Comme je l’ai dit, la plupart des diplômes qui ont plus de 20 ans ont dépassé leur date d’expiration. Il est nécessaire de procéder à une révision fondamentale de ce que nous enseignons à nos enfants.

2. La pollution comme paramètre de réussite. Etonnant que nous ayons exploité le bien commun jusqu’à son effondrement et que les quelques poches de nature restantes soient menacées parce quenotre objectif était de protéger, et que nous n’avons jamais eu de norme exigeant de régénérer.

3. Aller au-delà de la réduction. En effet, nous avons besoin d’un modèle économique qui régénère, utilise ce qui est disponible localement et assure la résilience des communautés pour répondre à tous les besoins fondamentaux.

 

Je vous invite donc à lire cet article et peut-être à accorder une attention particulière à la section de la page 16, consacrée aux maladies infectieuses. Les textes en bleu sont mes mises à jour.

 

Dans une publication magnifique, informative, pertinente et pertinente intitulée « Beyond Malthus », Lester Brown et ses collègues du Worldwatch Institute fournissent un résumé stupéfiant des 20 défis auxquels le monde doit faire face puisque la population continuera à croître pendant au moins un demi-siècle. Les projections sont sombres, les raisons d’espérer sont limitées, surtout quand on sait que tout ce que nous faisons aujourd’hui ne suffira pas à améliorer la situation critique des milliards de personnes qui vivent dans la pauvreté, privées des services les plus élémentaires en matière d’eau, de nourriture, de soins de santé, de logement, d’énergie et d’emploi.

Rien n’a changé ! Nous avons seulement changé les objectifs du Millénaire pour le développement en Objectifs de développement durable après avoir échoué à changer la réalité pour la majorité des pauvres. Nous savons que les plus riches sont devenus beaucoup plus riches et que le fossé entre les riches et les pauvres ne cesse de se creuser.

Le modèle de production et de consommation qui prévaut n’est manifestement pas en mesure de répondre aux besoins de toutes les communautés du monde. Il ne semble pas qu’il s’agisse d’une inégalité à dessein, mais plutôt d’un cas d’ignorance de la manière de faire mieux. Les moyens qui ont été mis en œuvre pour produire des biens et des services sont profondément gaspilleurs et n’ont pas encore réussi à intégrer les efficacités inhérentes à la nature. Pire encore, les ingénieurs de production sont sûrs de leur succès en matière de productivité qu’ils considèrent comme meilleure que la nature. Le désir de produire plus et plus vite a conduit à un système de traitement où les produits chimiques, la pression et la température sont utilisés pour isoler un composant, considérant le reste comme des déchets. Le stress de consommer plus, plus souvent, a conduit à une société de gaspillage qui se noie dans ses propres déchets.

La capacité de produire beaucoup plus avec moins est la base de l’homo economicus, et représente le cœur et l’âme de l’économie. Si tout le monde s’accorde à dire que le principal objectif et la principale contribution de l’économie est son effort de productivité et d’efficacité, répondant aux besoins du marché, il est clair qu’elle a encore un long chemin à parcourir avant de pouvoir prétendre s’être approchée de cet objectif. L’économie est une science qui fonctionne encore à l’âge de pierre, à une époque où l’humanité est déjà entrée dans l’âge de l’espace..

Si les économistes cherchaient un nouveau modèle de production basé sur des systèmes inspirés de la nature, qui l’imitent et qui fonctionnent en harmonie avec elle, alors cette science réussirait probablement à fournir le minimum de biens et de services à tous les habitants de la planète sans épuiser les ressources limitées de la Terre, sans provoquer l’effondrement de l’écosystème dont nous dépendons.
La principale raison pour laquelle le modèle économique actuel est incapable de faire exactement cela est qu’il n’applique pas les règles les plus élémentaires fournies par sa propre théorie : mettre en œuvre une manière toujours plus productive de combiner le travail, le capital et les matières premières par l’introduction continue d’innovations qui s’appuie sur une caractéristique humaine unique – la créativité.

Cet article, inspiré par et en réaction à l’analyse de Lester Brown qui m’a motivé pendant tant d’années, reprend les évaluations du Worldwatch Institute, et indique comment certaines des tendances pourraient changer si les économistes appliquaient leur propre théorie. Le Worldwatch Institute ayant pour vocation de favoriser l’évolution d’une société écologiquement durable, les analyses présentées ici pourraient peut-être contribuer à ces objectifs de manière originale.

La clé pour changer le cadre macro-économique est de concevoir de nouveaux modèles d’entreprise qui s’éloignent de tout ce que l’on enseigne aux MBA.

Théorie économique

L’économie est à peine considérée comme une science par les physiciens, les biologistes, les chimistes, même les ingénieurs ont des doutes. Ces réserves sont fondées. Il n’existe aucune science qui démontre dans sa mise en œuvre pratique un tel décalage entre ce qu’elle fait et ce qu’elle prescrit et enseigne. Pire, alors que toutes les sciences, de la psychologie à la biologie, ont évolué vers une approche systémique, les économistes restent dans la pratique au niveau micro-économique, génériquement appelé science de la gestion, d’une linéarité impressionnante. Il est donc d’autant plus surprenant de constater l’ampleur de l’influence que l’économie et la gestion ont acquise dans notre société.

Le premier défaut de l’économie dans la pratique est qu’elle ne se concentre que sur deux des trois principaux facteurs de production. La théorie économique prescrit que l’homo economicus recherche la combinaison la plus efficace de trois facteurs de production : le travail, le capital et les matières premières. Mais en analysant ce qu’enseignent les écoles de commerce et en vérifiant ce que font les entreprises, il est clair que la recherche de la productivité ne porte que sur le travail (produire plus avec moins de personnes) et le capital (obtenir de meilleurs rendements avec moins de risques). On ne s’intéresse guère à la notion de productivité matérielle. Le résultat d’une approche aussi incomplète est que l’économie produit plus de valeur ajoutée par employé, obtient de meilleurs rendements pour le capital et supprime des emplois. Cela conduit au faux axiome selon lequel une augmentation de la productivité va de pair avec une augmentation du chômage.

Il est assez étonnant que cette corrélation positive entre une meilleure productivité et un chômage plus élevé soit devenue un phénomène largement accepté. Les économistes espèrent qu’avec le temps, de nouvelles innovations et l’identification de nouvelles opportunités commerciales garantiront une absorption lente mais certaine d’une part importante de la population dans la population active. La réalité est bien différente. Alors que jamais dans l’histoire autant de personnes n’ont eu un emploi, jamais dans l’histoire, autant de personnes cherchent désespérément un emploi.

Alors qu’en Europe et au Japon, on peut espérer que la croissance démographique négative finira par résoudre le problème en une génération environ, les économistes semblent négliger le fait qu’une telle attitude de laisser-faire/laisser-passer envoie un message des plus dramatiques à 20 % de la population mondiale et à environ 40 % des jeunes : la société n’a pas besoin de vous ! Les nations riches peuvent en effet se permettre une telle attitude. Le transfert de pouvoir d’achat par le biais de la fiscalité peut atténuer les difficultés créées par une telle approche insensible au chômage. Les pays en développement, en revanche, ne savent que trop bien que des taux de chômage élevés parmi la jeune génération, qui peut représenter jusqu’à 60 % de la société, ouvrent la voie à la violence, à l’insurrection et même à la désintégration de la société civile.

Rien n’a changé. La dure réalité est que des taux de chômage élevés, combinés à une dégradation environnementale irrémédiable et à la désintégration de la société civile (guerre) conduisent à un exode qui se traduit par un exode à grande échelle où les gens risquent tout pour atteindre « l’autre côté ».

La pollution comme paramètre de réussite

L’accent mis sur la productivité du travail et du capital ne conduit pas seulement à des niveaux élevés de chômage, c’est aussi la principale raison pour laquelle le modèle de production actuel pollue, et que la consommation de produits génère tant de déchets. Le fait que l’économie et la gestion soient capables, mais non préparées, à répondre aux besoins de la société par une conception systémique, entraîne une perte massive de ressources, qui se manifeste sous la forme de déchets, de pollution de l’eau et de l’air, de décharges, d’incinérateurs et de décharges illégales.

Dans les années 1950, le succès se mesurait au nombre de cheminées, à la couleur brunâtre de la rivière locale et au sourire sur le visage noir des ouvriers. Aujourd’hui, le succès industriel est projeté à la société par les arbres et les fleurs, les animaux et le ciel bleu. Nous savons que la vérité est toute autre. Plus de 100 000 produits synthétiques offrent d’une part un grand confort et un grand luxe, mais génèrent d’autre part des problèmes que nous n’avons pas encore commencé à comprendre. L’emballage l’emporte de plus en plus sur le contenu du produit, et l’on dépense plus d’énergie pour le transport des aliments que ce que ce nutriment pourrait jamais offrir à son consommateur. Il ne s’agit pas d’une simple critique du modèle économique actuel, mais seulement d’une indication que nous sommes loin d’appliquer ce que nous avons proposé comme objectif final : faire plus avec moins.

Dans une conception systémique, nous pouvons imaginer comment les déchets d’un processus peuvent évoluer pour devenir une source pour d’autres processus. Il suffit d’observer un arbre pour savoir qu’il ne pourrait jamais survivre sans les champignons et les vers de terre qui transforment ses feuilles perdues en humus, et sans que les excréments des oiseaux qui se nourrissent de ses fruits ne minéralisent l’eau en lui apportant des nutriments supplémentaires. La version industrielle moderne, linéaire et simplifiée à l’extrême, de l’arbre prescrirait de rassembler toutes les feuilles de la forêt en un point central, où se rassemblent tous les champignons et les vers de terre, après quoi on essaie de fabriquer de nouvelles feuilles… ce qui ne fonctionnerait jamais. Chaque arbre a son propre écosystème qui permet de récupérer tous les nutriments et l’énergie, à travers un système complexe, qui permet finalement à l’arbre de continuer à croître et à procréer. Cette leçon de la nature ne montre que trop clairement qu’une société de recyclage, ou une économie en circuit fermé, n’a aucune chance de nettoyer l’environnement, de générer la valeur ajoutée nécessaire, et ne survivra donc jamais à l’épreuve du temps. Le recyclage permanent des nutriments dans un circuit fermé crée la « maladie de la vache folle » chez les animaux, et l’inceste entraîne la dégénérescence des humains. Pourquoi essayons-nous de recycler dans un système fermé, en nous nourrissant de notre propre queue ?

Il est nécessaire de concevoir des systèmes (1) complexes et (2) ouverts, ce qui ne doit pas être difficile. Le résultat sera une amélioration spectaculaire de l’efficacité, qui permettra d’introduire la règle 10/60, en remplacement de la règle traditionnelle 80/20 qui a dominé la pensée économique au cours du siècle dernier. La règle 10/90 stipule qu’en utilisant simplement 10 % de l’espace disponible, on peut traiter tous les déchets d’un processus et générer 90 % des recettes totales. Cette capacité à générer de la valeur ajoutée à partir de « rien », en utilisant peu d’espace, permet la création d’emplois, assurant ainsi une logique simple pour une règle économique de base : l’augmentation de la productivité génère plus d’emplois, et n’est possible que lorsque nous utilisons tous les matériaux. Lorsque nous aurons réussi à utiliser pleinement toute la matière et l’énergie, le modèle de production aura atteint son optimum. Si le modèle de production a atteint son optimum, alors il n’y aura plus de pollution et nous aurons atteint l’objectif de zéro émission et zéro déchet. C’est un effort qui ne s’arrêtera jamais.

Au-delà de la réduction des déchets et de la pollution

L’avantage majeur de ce modèle de production basé sur ce qu’Adam Smith nous a appris il y a deux siècles, n’est pas la simple élimination des déchets, ni la création d’emplois. L’avancée majeure de cette approche est qu’elle nous permet d’envisager comment la société peut répondre aux besoins de la société : eau, nourriture, logement, soins de santé et énergie. Si les économistes évoluent vers la pensée systémique, les gestionnaires peuvent devenir des praticiens des systèmes, et la société exploitera cette formidable énergie humaine ancrée dans sa créativité, cristallisant son désir d’offrir un meilleur avenir aux générations futures.

L’accent mis sur la productivité totale, qui réserve une attention égale au travail, au capital et aux matières premières, conduit à une synergie qui dépasse les réalisations possibles d’un programme de productivité axé sur un ou deux de ces trois composants clés. Mais il faut garder à l’esprit que s’il est possible de développer des programmes de productivité pour le capital et le travail au sein même de l’industrie ou du processus agro, il est impossible de le faire pour les matières premières, les déchets, les mauvaises herbes. Il faut chercher des opportunités en dehors de l’activité principale.

Un programme de productivité qui vise les matières premières, les déchets et les mauvaises herbes va au-delà de la simple récupération et du recyclage. La recherche de la productivité implique une recherche de la valeur ajoutée, et l’optimisation des multiples sorties d’un système complet avec une entrée donnée. Cela va plus loin que la récupération des métaux lourds après consommation ; cela va plus loin que l’extraction de plus de cellulose d’un arbre existant ; cela va plus loin que l’agriculture biologique, éliminant les produits chimiques. Il s’agit d’un processus de production qui vise à utiliser pleinement tous les composants, encore et encore, afin que rien ne soit perdu. Et cela ne peut être réalisé que si l’on opère en grappes d’industries.

Si les programmes de recyclage sont bien connus, la conception d’un système permettant d’utiliser pleinement tous les intrants n’est étonnamment appliquée que dans l’industrie pétrolière. Il n’y a pas d’autre industrie qui craque les molécules d’une manière si précise qu’au final, presque tout est utilisé. Il est intéressant de noter que l’industrie pétrolière et pétrochimique est la seule qui cherche continuellement de nouvelles utilisations pour son produit exceptionnel et qui continue à ajouter de la valeur à son craquage de molécules. Il n’est donc pas surprenant qu’elle puisse être beaucoup plus compétitive que des produits similaires fabriqués à partir de sources renouvelables. Les produits naturels sont toujours plus chers car on ne se concentre généralement que sur un seul composant, considérant le reste comme des déchets.

L’application de la conception de systèmes en économie et en gestion, l’introduction de la productivité pour les matières premières, les déchets et les mauvaises herbes peuvent nous aider à voir la lumière au bout du tunnel qui est sombre et sans promesse. Voici quelques réflexions sur ces points en utilisant le traité de Lester Brown « Beyond Malthus » comme référence. Les 19 domaines de réflexion sont :

1. la production de céréales
2. l’eau douce
3. la biodiversité
4. l’énergie
5. la pêche
6. emplois
7. maladies infectieuses
8. terres cultivées
9. les forêts
10. logement
11. le changement climatique
12. matériaux
13. urbanisation
14. espaces naturels protégés
15. éducation
16. déchets
17. les conflits
18. production de viande
19. revenus

La pollution comme paramètre de réussite

La pollution comme paramètre de réussite

1. La production de céréales

  • « De 1950 à 1984, la croissance de la récolte de céréales a facilement dépassé celle de la population, faisant passer la récolte par personne de 247 à 342 kilogrammes. Au cours des 14 années qui ont suivi, la croissance de la récolte céréalière est tombée derrière celle de la population, faisant chuter la production par personne de ce sommet historique de 1984 à une estimation de 312 kilogrammes en 1998 – une baisse de 9 pour cent. » (p.33)

Étant donné que les céréales, le riz, le maïs et d’autres cultures importantes souffrent d’une diminution de la production par habitant et qu’il ne semble y avoir aucune chance d’accroître l’accès à de nouvelles terres, à l’irrigation et aux engrais, nous devons chercher des moyens alternatifs d’augmenter la production de nutriments. Étant donné que chaque culture mentionnée produit un multiple de 10 en termes de paille, d’enveloppes, d’épis et autres, qui sont presque toujours laissés à pourrir sur le champ, incinérés, générant du dioxyde de carbone, ou simplement utilisés pour nettoyer les étables, leur valeur productive est extrêmement sous-exploitée.

Si l’on opère par grappes de production, on peut imaginer comment tous ces déchets agro-industriels peuvent – par exemple – être transformés en substrats pour champignons. La paille (Volvariella volvacae) et les pleurotes (Pleurotus spp.) fructifient en milieu ambiant, surtout dans les climats chauds et humides, exactement les régions où la demande alimentaire est inférieure aux besoins. La quantité de paille étant au minimum 10 fois supérieure à celle des céréales, on peut estimer qu’il existe un potentiel de 18,5 milliards de tonnes de paille. Si l’on atteint un taux de conversion biologique de 50 %, on obtient 9,25 milliards de tonnes de champignons (à 90 % d’humidité), soit 1,5 milliard de tonnes supplémentaires à sec. Et le substrat usagé constitue un excellent aliment pour les poulets.

Comme les deux espèces de champignons mentionnées fructifieraient dans les semaines suivant l’inoculation, les nutriments seraient disponibles pour une distribution et une consommation immédiates. L’utilisation supplémentaire des terres pourrait être limitée à 10 % des terres disponibles pour l’agriculture, générant ainsi un multiple des revenus. Les champignons peuvent être séchés et conservés pour la consommation pendant 2 à 3 ans sans aucun agent de conservation.
Alors que l’Amérique latine n’a pas de culture de consommation de champignons, l’Afrique et l’Asie ont toutes deux une longue tradition de récolte et de cuisson des champignons. La riche biodiversité des champignons, qui reste à découvrir et à comprendre, est l’un des plus grands domaines potentiels d’expansion de l’alimentation.

Le programme de transformation des déchets agricoles en champignons compte aujourd’hui environ 5 000 initiatives dans le monde. C’est un succès… et un échec. Le potentiel est d’au moins un million d’unités de production et cela peut se transformer en un important moteur d’emplois et de santé dans les communautés locales.

2. Eau douce

    « Partout où la population augmente, l’approvisionnement en eau douce par personne diminue. En raison de la croissance démographique, la quantité d’eau disponible par personne provenant du cycle hydrologique diminuera de 73 % entre 1950 et 2050. Dans le monde, environ 70 % de l’eau pompée dans le sous-sol ou détournée des rivières est utilisée pour l’irrigation, 20 % est utilisée à des fins industrielles. » (p. 37)

    L’utilisation principale de l’eau pour l’agriculture peut être qualifiée de très inefficace. L’étude de l’utilisation de l’eau dans des conditions difficiles, comme le désert du Namib, offre une base d’inspiration sur la façon dont on pourrait procéder différemment, en obtenant les mêmes résultats avec une fraction d’eau seulement. La Welwitschia mirabilis, la plus ancienne plante vivante sur Terre, survit dans le désert de Namibie pendant plus de 2 000 ans, permettant aux ruminants de mâcher ses feuilles comme source d’humidité. Cette plante et les insectes du même écosystème sont des experts dans la récolte de l’humidité de l’air. Quelle que soit la région du monde, il y a toujours de l’humidité dans l’air. La récolte du brouillard est devenue une nécessité pour la survie en Namibie et dans le nord du Chili, mais constitue une opportunité inexploitée partout ailleurs. Lorsque l’eau était abondante, il n’était pas nécessaire d’être créatif, lorsque l’eau est rare, on n’a d’autre choix que de devenir ingénieux.

    D’une manière ou d’une autre, lorsque les humains cherchent de l’eau, face à l’absence de rivières et de ruisseaux coulant à proximité, la seule option envisagée est de creuser un trou. L’air qui les entoure, même s’il n’y a pas eu de pluie depuis des semaines ou des mois, est riche en humidité et descend rarement en dessous de 15 %. Même dans ces circonstances sèches, l’humidité augmente tous les matins, pour redescendre au minimum dans l’après-midi. Des technologies peuvent être développées en s’inspirant de la réponse de la nature à la nécessité de survivre dans les régions les plus sèches du monde.

    L’application d’algues séchées en granulés peut être utilisée comme composant du sol, offrant ainsi un premier exemple concret de la manière dont la nature peut être utilisée pour inverser certaines conditions climatologiques à première vue sans avenir. Comme les algues absorbent l’eau jusqu’à dix fois leur poids, elles représentent une source exceptionnelle de rétention d’eau. Le matin, lorsque l’humidité de l’air est élevée, le sol se réapprovisionne en eau capturée dans ces granules d’algues, tandis qu’elle est libérée lentement au cours de la journée.

    Les algues marines sont l’une des ressources les moins exploitées. Les zones côtières d’Amérique latine et d’Afrique, où émergent de grandes concentrations de population, sont aussi les zones où le chômage élevé touche les communautés pauvres. Il est donc essentiel de voir comment la nécessité d’accroître considérablement l’efficacité de la consommation d’eau pour l’agriculture, pourrait stimuler les industries côtières, en commençant par nettoyer les plages, puis en plantant, récoltant et transformant les algues. Le résultat est très bénéfique pour le sol et les cultures, mais, plus important encore peut-être, on pourra augmenter l’absorption d’oligo-éléments tels que l’iode, qui font aujourd’hui défaut dans le cycle alimentaire.

    L’industrie a un deuxième défi à relever. Étant donné qu’elle est le deuxième plus grand consommateur d’eau, la pensée linéaire de la consommation d’eau imposée par la loi est devenue un obstacle majeur. Les industries de transformation des aliments, du bois et des fibres sont de gros consommateurs d’eau. Chaque litre de bière nécessite dix litres d’eau ; chaque tonne de cellulose nécessite 20 tonnes d’eau ; chaque tonne de cellulose recyclée nécessite 40 tonnes d’eau ; chaque tonne de fibre de sisal est produite avec 30 tonnes d’eau. Chaque kilo de café nécessite 35 litres d’eau …. . La conclusion est claire : il existe une énorme marge d’amélioration de la consommation d’eau, à condition d’être prêt à introduire de nouvelles technologies de traitement.

    Le lavage du café a permis de réduire la consommation d’eaux usées de 40 litres à 0,2 par kilo. Toutes les eaux usées d’une brasserie doivent être utilisées pour l’élevage de poissons et d’algues sur place, sans neutralisation du pH comme le prescrit la loi. La production d’une tonne de cellulose à partir d’arbres peut être obtenue en utilisant seulement 2 tonnes d’eau, en introduisant la technologie de l’explosion de vapeur. Il est parfaitement possible de réduire considérablement la consommation d’eau dans l’industrie si l’on en fait une priorité.

    L’introduction du papier pierre a permis de réduire la consommation d’eau par tonne de papier à pratiquement zéro, sans qu’il soit nécessaire de recycler l’eau. de recycler l’eau. Cinq usines ont été construites. L’introduction de la culture de tomates avec de l’eau de condensation a permis de mettre au point une technique agricole qui produit de l’eau tout en cultivant des tomates. Les trois premières méga-fermes sont opérationnelles. Les algues se sont converties en agents de changement, notamment en capturant les microplastiques et en produisant du biogaz tout en créant un refuge pour les juvéniles ; la régénération de la biodiversité…

    3. Biodiversité

      « Nous vivons au milieu de la plus grande extinction de la vie végétale et animale depuis la disparition des dinosaures il y a quelque 65 millions d’années, avec des pertes d’espèces de 100 à 1 000 fois supérieures au taux naturel. Les principales sources de la disparition actuelle des espèces sont toutes liées aux activités humaines. » (p. 41)

      Si l’on constate d’une part une perte massive d’espèces, il existe d’autre part un grand nombre d’espèces qui restent inconnues. Le deuxième plus grand royaume de la nature, les champignons, compte environ 1,5 million d’espèces, dont seulement 5 % ont été décrites du point de vue taxonomique. Et sur ces 80 000 espèces, les scientifiques n’ont réussi à distinguer les mâles des femelles que dans environ 15 % des cas. Il semble qu’il y ait un besoin de sécuriser la survie de ce que nous avons, mais il y a un besoin tout aussi urgent de comprendre ce que nous avons encore et de l’utiliser de manière productive. Alors qu’il existe des banques de germoplasme pour les semences de cultures, il n’y a pas de banques de germoplasme pour les champignons en Afrique et en Amérique latine, deux continents qui représentent environ 45 % de la biodiversité. Les scientifiques demandent à juste titre une meilleure banque de semences pour les variétés de plantes et de cultures, tandis que les espèces de champignons devraient être ajoutées de toute urgence à la liste des souhaits.

      Il est nécessaire de mieux comprendre la capacité génératrice de la nature. Comme l’a démontré le Centre de recherche environnementale Las Gaviotas (Colombie), il existe une capacité unique à créer des ponts entre les régions désolées où l’environnement s’est dégradé, voire où la vie est menacée, et les zones animées de biodiversité. Ce modèle unique de reproduction dynamique mérite une attention plus détaillée. S’il nous permet d’imaginer comment protéger la nature, il permet également de régénérer des environnements qui pourraient abriter et dupliquer les réserves uniques qui restent à notre disposition. Ce que Las Gaviotas ont réussi à faire au Vichada, en Colombie, sur une superficie de 11 000 hectares, pourrait être reproduit dans la même région du monde, sur quelque 6 millions d’hectares.

      L’intérêt de cet exercice est que le rétablissement de la biodiversité est autosuffisant. Elle ne nécessite qu’un capital de départ équivalent à un million de dollars par 1 500 HA. Le financement supplémentaire est possible grâce à la production d’eau potable, un défi qui a été clairement identifié dans le chapitre précédent. Si le reboisement et la gestion de l’eau sont combinés de manière efficace, on peut alors s’attaquer à deux problèmes clés à la fois. Il est possible de trouver des solutions à ce défi.

      Las Gaviotas a été le premier à démontrer comment régénérer la biodiversité – en donnant une chance à la nature. Grâce à la popularisation de techniques agricoles comme l’agroforesterie et la permaculture, on comprend mieux comment inviter les cinq règnes de la nature à contribuer à la productivité des aliments, à la nutrition et au cycle des matières. Nous assistons aujourd’hui à la régénération de la biodiversité des forêts des mers (rideaux d’algues et forêts) et des forêts terrestres.

      4. Énergie

        « Au cours du dernier demi-siècle, la demande mondiale d’énergie a été multipliée par plus de cinq – plus de deux fois plus vite que la population. Au cours du prochain demi-siècle, la demande mondiale d’énergie devrait continuer à augmenter bien au-delà de la croissance démographique, les nations en développement essayant de rattraper les nations industrielles. » (p. 45)

        De nombreuses énergies renouvelables ont été étudiées, mais l’une d’entre elles reste largement inexploitée, tant dans les pays en développement que dans les pays industrialisés : le biogaz issu des déchets animaux et végétaux. Si les porcheries intensives constituent un problème majeur en termes de risques sanitaires et de nitrification des eaux souterraines, leur potentiel de production d’énergie est largement négligé.

        Pour 1 000 porcs, on produit un biogaz équivalent à 100 litres de pétrole, soit quelque 36,5 tonnes d’équivalent pétrole par an. Plusieurs pays et régions abritent des millions de porcs. Ces régions peuvent facilement convertir ce problème de déchets en une importante source d’énergie. Dans le cas de Curitiba, une ville fière de sa conception environnementale, il y a suffisamment de porcs pour alimenter tous les bus de l’État avec du biogaz. Actuellement, l’État négocie la construction d’un gazoduc de 90 millions de dollars en provenance de Bolivie, il pourrait en fait installer un gazoduc vers les porcheries à la place.

        Les porcs ne sont pas la seule source de biogaz, la jacinthe d’eau, largement considérée comme un parasite en Afrique, est une autre source potentielle importante largement négligée. Un kilogramme de jacinthe d’eau est capable de générer un mètre cube de méthane. Si l’on considère qu’il y a des millions de tonnes de jacinthe d’eau en décomposition dans les lacs africains, latino-américains et asiatiques, le potentiel d’exploitation de cette forme d’énergie est énorme.

        Les digesteurs nécessaires pour transformer ce fumier et ces parasites végétaux en une source d’énergie sont bon marché et faciles à installer. Des modèles sont disponibles à partir de 20 dollars l’unité, mais pourraient aussi coûter 2 millions de dollars pour une application industrielle au Japon. Le Bénin a été le premier pays à adopter l’option du biogaz issu de la jacinthe d’eau au Centre Songhaï de Porto Novo. Ce digesteur constitue non seulement une excellente source d’énergie, mais fournit également un engrais de qualité. Comme la jacinthe d’eau récupère toutes les traces de minéraux et de nutriments qui ont été emportés dans les rivières par l’érosion des sols, elle permet de réappliquer au sol ce qu’une agriculture inadaptée avait enlevé.

        Le transport de nombreux petits producteurs de biogaz vers un centre de traitement central est considéré comme le défi majeur, mais tout à fait possible à résoudre. De même qu’un camion à lait collecte chaque jour la production des vaches, un camion-citerne collecte le biogaz produit la veille. Une collecte quotidienne et un revenu quotidien garantiront un entretien quotidien. S’il n’y a pas de revenu, il n’y a pas d’entretien, un problème qui a souvent conduit dans le passé à un rendement médiocre des digesteurs dans les zones rurales.Le gaz est utilisé sous une forme limitée dans la ferme, car il nécessiterait un double système énergétique. Dans certaines circonstances, il est préférable de le mettre à la disposition du système de transport public à un prix compétitif. La simulation du potentiel en Amérique latine et en Afrique à partir des porcheries et de la jacinthe d’eau nous offre une véritable lumière au bout du tunnel.

        Puis nous avons découvert les forêts d’algues qui produisent également un biogaz massif. Nous pouvons répondre à tous les besoins énergétiques des États-Unis avec seulement 3,3 millions de kilomètres carrés tout en augmentant les moyens de subsistance de milliards de poissons…

        5. la pêche

          • « De 1950 à 1988, les captures de poissons océaniques sont passées de 19 millions à 88 millions de tonnes, soit une croissance beaucoup plus rapide que celle de la population. Les prises par habitant sont passées de moins de 8 kilogrammes en 1950 au pic historique de 17 kilogrammes en 1988, soit plus du double. Depuis 1988, cependant, la croissance des captures s’est ralentie et est devenue inférieure à celle de la population. Entre 1988 et 1997, les prises par personne sont tombées à un peu plus de 16 kilogrammes, soit une baisse d’environ 4 %.  » (p. 49)

          Les masses d’eau de la Terre ont une énorme capacité à produire des protéines de poisson. Malheureusement, la méthode de pêche utilisée en haute mer et les méthodes d’élevage sur terre négligent largement les concepts de productivité dans un contexte systémique.

          Dans une ferme piscicole moderne, on cultive généralement du poisson-chat (Amérique du Nord) ou du tilapia, où des espèces de poissons indigènes d’Afrique génétiquement modifiées et manipulées sont traitées aux hormones afin de garantir qu’aucune énergie et aucun aliment ne soient gaspillés pour la production d’œufs. Ce mélange de poissons mâles et/ou castrés est élevé dans des étangs peu profonds, nourri avec des aliments spéciaux, additionnés d’antibiotiques pour stimuler la croissance et combattre les maladies potentielles. L’eau polluée manque continuellement d’oxygène dissous, ce qui nécessite un apport supplémentaire d’énergie. Ce programme offre non seulement un résultat discutable en termes de qualité de la nourriture et de marges limitées pour les agriculteurs, mais il ne met pas en valeur le potentiel de la biodiversité locale.

          Le concept de pisciculture intégrée, développé en Chine au cours des 400 dernières années, permet l’utilisation de 4 à 6 espèces de poissons locales qui se nourrissent chacune de différents nutriments à leur niveau trophique idéal. L’art de la pisciculture chinoise est que personne ne nourrit les poissons, le système assure l’alimentation des poissons. Cela permet une conversion très efficace des intrants en protéines de poisson, atteignant jusqu’à 15 tonnes de poisson par hectare sans avoir à acheter d’aliments pour poissons. Les marais, souvent écologiquement dégradés, offrent une première occasion unique d’appliquer ces concepts.

          De nombreuses agro-industries, qui génèrent à la fois des quantités massives d’eau excédentaire, constituent une seconde cible pour donner une seconde utilité à leurs eaux résiduelles. En plus de leur eau de qualité, elles contiennent souvent des nutriments qui présentent un intérêt direct pour la pisciculture. Les porcheries ont déjà été évoquées, les brasseries entrent dans la même catégorie mais les unités de production de lait en poudre, comme celles de Scandinavie où l’on peut même imaginer cultiver des espèces tropicales en utilisant tous leurs déchets, y compris le lait en poudre qui ne répond pas aux normes de consommation humaine et qui est rejeté dans l’eau chaude de traitement envoyée à la station d’épuration, sont peut-être les plus intéressantes.

          Si nous avons réussi la culture de champignons sur des déchets agricoles dans le monde entier, nous n’avons que des exemples isolés en Chine et au Brésil, où les bio-systèmes intégrés ont été mis en œuvre avec succès. C’est l’un des domaines dans lesquels nous n’avons pas progressé comme nous l’avions envisagé.

          6. Emplois

            • »Depuis le milieu du siècle dernier, la population active mondiale a plus que doublé, passant de 1,2 milliard de personnes à 2,7 milliards, ce qui dépasse la croissance de la création d’emplois. En conséquence, l’Organisation internationale du travail des Nations unies estime que près d’un milliard de personnes, soit environ un tiers de la population active mondiale, sont au chômage ou sous-employées. Au cours du prochain demi-siècle, le monde devra créer plus de 1,7 milliard d’emplois rien que pour maintenir les niveaux d’emploi actuels » (p. 53))

            Le défi de la création massive d’emplois est impossible à relever si l’on maintient le modèle de production actuel dominé par la stratégie commerciale de base et la productivité du travail et du capital uniquement. Si l’on est prêt à appliquer les principes de base de l’économie et à rechercher aussi vigoureusement la productivité des matières premières que celle du travail, on peut s’attendre à un changement massif dans la création d’emplois. Le concept ZERI conduit à penser qu’il est parfaitement possible de générer plus d’emplois, tout en augmentant la productivité des matières premières.

            Cette logique a été testée à l’échelle micro-économique. Elle doit encore être développée au niveau macroéconomique, mais le cas est clair. Si un brasseur de bière utilise toutes les drêches pour faire du pain, il crée et maintient plus d’emplois en générant de la valeur ajoutée que si les drêches étaient simplement expédiées par camion vers une décharge ou une ferme d’élevage. Ce pain concurrence et remplace le pain fabriqué à partir de céréales fraîchement importées, mais d’un autre côté, sa production globale, en particulier en Afrique et en Amérique latine, sera disponible à moindre coût avec une plus grande efficacité, de sorte que le pain sera désormais accessible aux personnes qui ne pouvaient pas se permettre le prix des céréales importées.

            Combien d’emplois seraient générés si toutes les brasseries d’Afrique appliquaient ce concept? Combien d’emplois seraient générés si tous les projets de reforestation prévoyaient également la production et la mise en bouteille d’eau potable? Combien d’emplois supplémentaires sont envisageables si les déchets de café sont utilisés comme substrat pour l’agriculture? Combien de personnes peuvent avoir du travail et être rémunérées parce que des logements sociaux et durables sont garantis avec des matériaux de construction locaux?

            Le défi de 1,7 milliard d’emplois supplémentaires est énorme, mais les opportunités qui émergent en convertissant les déchets et les mauvaises herbes en nouveaux intrants productifs sont faciles à comprendre.

            Depuis le lancement de « The Blue Economy » en 2009, soit dix ans après cet article, une autre décennie s’est écoulée et, rien qu’à travers les initiatives que nous suivons, on estime que 3 millions d’emplois ont été créés. Nous sommes loin de notre objectif, mais nous avons réussi à faire mieux que ce que tout le monde attendait.

            7. Maladies infectieuses

              • »Le dernier demi-siècle a vu des succès mondiaux substantiels dans la lutte contre de nombreux fléaux du passé. Les tendances démographiques dominantes continuent de créer un « milieu » humain surpeuplé qui à la fois invite et est vulnérable aux infections. » (p. 57)

              La médecine moderne s’attache à tuer le mal. Tant que la médecine aura cet objectif clairement défini, elle ne parviendra pas à endiguer l’avancée des maladies infectieuses. Le temps est venu de passer de l’élimination du mal au renforcement du bien. Il existe peu de programmes qui garantissent que le système immunitaire, qui souffre de malnutrition, de stress, d’épuisement professionnel, d’eau contaminée, d’air pollué, etc. peut être renforcé. L’un des problèmes est notre alimentation. Un deuxième problème est la dépendance croissante aux antibiotiques qui, avec le temps, diminuent la capacité de réponse de notre système immunitaire.

              Notre alimentation ne contient pas suffisamment de substances biochimiques modulatrices du système immunitaire, que l’on trouve dans les champignons (triterpines, protéines-hydrates), les algues (bêtacarotène, iode) et les huiles végétales (vitamine E). Notre forte dépendance à l’égard des protéines animales et de poisson ne nous permet pas d’accéder à un grand nombre de ces précieux composants. Pire encore, la transformation excessive des aliments et leur conservation en vue d’une longue durée de vie éliminent des nutriments sains et indispensables qui sont ensuite rajoutés au prix fort. L’initiative consistant à cultiver des variétés de champignons modulant le système immunitaire (Lentinula edodes, Ganoderma lucidum) sur des flux de déchets agro-industriels offre la possibilité d’augmenter les substances naturelles qui pourraient même offrir un espoir aux orphelins infectés par le VIH vivant dans des colonies en Afrique australe. Ils ont un travail, ils ont un but, ils sont nourris, ce qui est essentiel puisque les médicaments antiviraux ont moins de chances de réussir dans un organisme sous-alimenté.

              8. Terres cultivées

                • « Depuis le milieu du siècle dernier, la population mondiale a augmenté beaucoup plus rapidement que la superficie des terres cultivées. La surface cultivée a augmenté d’environ 19 %, mais la population mondiale a augmenté de 132 %, soit sept fois plus vite. Cette tendance devrait se poursuivre au cours du siècle prochain, ramenant les terres cultivées par personne à des niveaux historiquement bas. Dans les pays industriels surpeuplés comme le Japon, Taïwan et la Corée, la surface céréalière par habitant est aujourd’hui inférieure à la superficie d’un court de tennis. » (p.61-62)

                L’accent mis sur les terres cultivées est limité. Elle doit être élargie à un système de production alimentaire plus large qui va au-delà de la simple disponibilité des terres. Les cultures ne représentant qu’une fraction de la biomasse totale, leurs résidus, en particulier la paille, offrent des possibilités uniques et éprouvées de production de protéines et de nutriments, en utilisant le biosystème intégré largement appliqué en Chine. Le cas de quelque 10 millions d’agriculteurs chinois nous enseigne qu’il est possible d’utiliser 10 % des terres cultivées pour générer 60 % des revenus. Toutefois, ces revenus supplémentaires ne seraient pas créés si la paille n’était pas disponible au départ.

                La dégradation des terres cultivées par l’érosion des sols a un impact négatif sur la productivité des terres. L’utilisation d’engrais n’inverse pas la tendance à la baisse de la productivité. Au contraire, l’utilisation excessive d’engrais non solubles semble aggraver la situation. Il existe des solutions à ce problème. La jacinthe d’eau accompagnée d’herbes géantes à croissance rapide et de girasols peut assurer une récupération des nutriments. La jacinthe d’eau est une mauvaise herbe aquatique qui se développe sur les plans d’eau où s’accumulent des nutriments provenant principalement de déchets organiques non traités ou de l’érosion des sols. Une récolte, un hachage et une inoculation continus de la jacinthe d’eau offrent la possibilité de réappliquer au sol un mélange d’oligo-éléments et de nutriments, complété par des mycéliums et des bactéries.

                La récupération des terres dégradées pourrait également être réalisée en plantant temporairement des terres cultivées dégradées avec du bambou, qui a un feuillage riche pourrait convertir cela en un sol amélioré, tout en fournissant des matériaux de construction pour les logements sociaux et durables. L’avantage complémentaire est que le bambou assure la séquestration de 40 fois plus de dioxyde de carbone par mètre carré et par an qu’un pin. Cette approche systémique est susceptible d’offrir de bons résultats pour les terres agricoles dégradées des tropiques.

                Un monde durable reconstituera en permanence la couche arable. Cela fait partie de la stratégie globale, de la production d’aliments au développement de produits chimiques renouvelables et au traitement des déchets organiques solides et liquides. La priorité est de concevoir un cycle de production et de consommation, notamment dans les villes, qui permette de boucler cette boucle qui a échappé au modèle économique actuel.

                9. Les forêts

                    •  » Les pertes mondiales de zones forestières ont suivi la croissance démographique pendant la majeure partie de l’histoire de l’humanité.l’histoire de l’humanité. En effet, 75 % de la croissance historique de la population mondiale et environ 75 % de la perte de la superficie forestière mondiale ont eu lieu au cours du 20e siècle. La déforestation est créée par la demande de produits forestiers, qui suit de près l’augmentation de la consommation par habitant. L’utilisation mondiale de papier et de carton par personne a doublé depuis 1961. » (p. 65)

                  Si l’on considère un système de production de papier et de carton qui reste centré sur la cellulose issue du bois, il est certain qu’il ne répondra pas à la demande, même lorsque la manipulation génétique la plus aboutie favorisant la croissance des arbres aura été mise en œuvre avec succès.

                  L’utilisation de la cellulose des arbres est inefficace. La cellulose provenant de la canne à sucre (bagasse), des bananiers et du bambou pousse plus rapidement et est supérieure à ce que l’on peut obtenir des arbres. Le seul problème est que ceux qui contrôlent le marché mondial de la cellulose et les technologies de traitement associées ont développé leur activité au cours des 100 dernières années dans un climat tempéré. Les sources les plus productives de cellulose se trouvent sous les tropiques.

                  Un bambou contient environ 40 fois plus de cellulose par mètre carré et par an qu’un pin ou un eucalyptus à croissance rapide manipulé génétiquement. Il est insensé de rechercher une sylviculture durable alors que la cellulose facilement disponible n’est même pas considérée sérieusement.

                  Aujourd’hui, la bagasse (48 % de fibres) est incinérée ; le bambou, dont la croissance peut atteindre 25 mètres par an, n’est tout simplement pas récolté. La disponibilité de 8 millions d’hectares de canne à sucre, un secteur en crise en raison de la diminution de la demande de sucre (pour des raisons évidentes puisqu’il crée de la plaque dentaire et est donc remplacé par des édulcorants synthétiques), offrirait une nouvelle chance aux agriculteurs si la bagasse était payée au même prix que les fibres d’eucalyptus (+400 dollars par tonne), ce qui dépasse le prix du sucre sur le marché.

                  La cellulose des herbes géantes peut être utilisée en grande quantité pour la production de papier, mais on ne peut pas utiliser les mêmes technologies de séparation qui ont été développées pour les résineux et les feuillus. Il n’est pas nécessaire d’être un ingénieur industriel pour comprendre que les herbes géantes comme la canne à sucre et le bambou ont une structure fondamentalement différente de celle des arbres, et qu’il est donc préférable de les soumettre à des techniques de séparation adaptées aux tropiques et aux herbes.

                  Il existe de nombreuses initiatives visant à utiliser toutes ces biomasses pour la production de papier, mais malheureusement peu ont réussi. La raison en est que la majorité d’entre elles ont opté pour l’utilisation des mêmes procédés de séparation chimique et mécanique que ceux utilisés dans les climats tempérés. L’approvisionnement en papier et en carton n’est pas un problème à condition que l’on soit prêt à réfléchir au fournisseur le plus efficace de la matière. Si l’on s’en tient à tout prix à la production de papier à partir de la cellulose des pins, on est voué à l’échec. Le seul gagnant est l’entreprise forestière qui verra les prix de la cellulose augmenter.
                  Si, en plus de la production de cellulose, d’autres sous-produits pouvaient être extraits de l’arbre, de la canne à sucre ou du bambou, nous serions alors dans une situation idéale. La production de lignine est un choix évident, car elle est facile à obtenir et constitue une riche source d’énergie. Nous pouvons maintenant imaginer une augmentation globale de la productivité du système qui rendra le processus plus efficace, générera des revenus et des emplois.

                  Le papier de pierre offre un complément intéressant au marché, mais il n’absorbe pas l’humidité. Il faut donc aller au-delà de la simple réutilisation des déchets. Au cours des dernières décennies, notre recherche a toujours inclus des options multiples et le bambou est apparu comme un cadeau de la nature. La construction du pavillon du bambou à l’exposition universelle de 2000 en Allemagne a marqué un tournant, non seulement pour l’utilisation du bambou comme ingrédient de base du papier, mais aussi comme matériau de construction plus performant que toute autre alternative. C’est la nouvelle ère de l’acier végétal.

                  10. Logement

                      • »Au cours du dernier demi-siècle, le parc immobilier mondial a augmenté à peu près au même rythme que la population. Si les gouvernements ne s’engagent pas à nouveau à fournir des logements, cette situation risque de s’aggraver, car les besoins en logements dans le monde devraient presque doubler au cours des 50 prochaines années, et ceux de l’Afrique et du Moyen-Orient devraient être multipliés par plus de trois. » (p. 69-70)

                  Si le concept actuel de logement est maintenu, il sera difficile de répondre à la demande.En revanche, si l’on introduit le concept de « faire pousser sa propre maison », alors il y a une chance de réussir. Malheureusement, la construction de logements dans le monde s’inspire excessivement des systèmes de construction qui dominent les régions du monde caractérisées par un climat tempéré. Malheureusement, ces systèmes de construction ont servi de modèle au monde en développement, entraînant une consommation excessive d’acier, de verre et de ciment.

                  Le concept introduit par ZERI offre la possibilité de construire une maison sociale et durable en utilisant du bambou. Le bambou est largement disponible, il existe plus de 1 000 espèces. Le projet de l’architecte colombien Simon Velez nous permet d’offrir une maison bon marché, fonctionnelle et belle de 65 mètres carrés, en utilisant pas plus de 150 bambous. La culture de sa propre maison ne nécessite donc pas plus de 75 mètres carrés. La récolte peut se faire après 12 mois, selon le type de bambou utilisé. La conservation du bambou peut être assurée avec de l’acide pyrolytique provenant du même bambou, qui est un stimulant pour l’esprit d’entreprise, et qui élimine les substances toxiques (importées) contre les champignons et les insectes, utilisées pour protéger les matériaux tropicaux. Le bambou, et d’autres matériaux tropicaux, traité avec ses propres acides n’est pas seulement beau dans sa couleur, il renforce sa structure, il porte une garantie de plus de 50 ans. Les Japonais offrent même une garantie de cent ans.

                  Le passage de l’acier, du ciment, de l’amiante et du verre à un bâtiment dominé par des matériaux de construction tropicaux qui poussent rapidement sur des sols dégradés offre un aperçu de la manière dont on pourrait répondre aux millions de foyers sans avoir à dépenser l’argent et l’énergie dans des matériaux non tropicaux. L’expérience de l’Amérique latine, qui se répète en Afrique, constitue une bonne base. La quantité de bambou nécessaire peut facilement être fournie dans le cadre de programmes de récupération de terres dégradées et contaminées.

                  Le bambou offre une option unique, qui a été déployée dans le monde entier, générant des milliers d’emplois.

                  11. Le changement climatique

                    • »Au cours du dernier demi-siècle, les émissions de carbone dues à la combustion de combustibles fossiles ont été multipliées par quatre, augmentant les concentrations atmosphériques de dioxyde de carbone de 30 % par rapport aux niveaux préindustriels. Les 15 années les plus chaudes jamais enregistrées ont toutes eu lieu depuis 1979. » (p. 73))

                     

                    L’inversion du risque de changement climatique accompagné de vagues de chaleur intenses, de sécheresses et d’inondations plus sévères, de tempêtes plus destructrices, de feux de forêt plus étendus nécessite un portefeuille innovant de « moyens productifs » pour séquestrer et/ou réutiliser massivement les gaz à effet de serre.

                    La récupération du méthane, un gaz à effet de serre 21 fois pire que le dioxyde de carbone, par le biais des digesteurs de porcherie décrits précédemment, est une première étape. L’élevage est reconnu comme la deuxième plus grande source de gaz méthane. Tout d’abord, nous semblons blâmer la mauvaise espèce. Il incombe en premier lieu aux êtres humains de fournir une meilleure alimentation qui ne génère pas d’aussi grandes quantités de gaz. De nombreux déchets issus des processus industriels, tels que les céréales usagées, entraînent une augmentation de la production de gaz. Si nous changeons la nourriture ou si nous incluons des ingrédients sains comme les algues, alors les vaches et les porcs ne produisent pas la même quantité de méthane. Ensuite, si du gaz est produit, nous devrions trouver des moyens de le capturer et de l’utiliser, en lui donnant de la valeur au lieu de le laisser simplement s’évaporer dans l’air.

                    La séquestration du dioxyde de carbone a fait l’objet de longs débats. Elle a donné lieu à des programmes de reforestation dans le monde entier. Mais quand on sait que les herbes géantes comme le bambou sur terre et le varech dans la mer, qui formaient autrefois des forêts massives en Afrique, en Asie et en Amérique latine, séquestrent jusqu’à 40 fois plus de dioxyde de carbone par mètre carré et par an que les arbres. On peut se demander pourquoi ces biotes à croissance rapide n’ont pas été à la mode. Chaque fois que les entreprises énergétiques annoncent un programme de reforestation pour compenser leurs émissions excessives, elles ne pensent qu’à un pin et à un eucalyptus. L’une des raisons peut être la simple ignorance de la biodiversité de la nature, les décideurs étant ainsi guidés par ce qu’ils connaissent de leur propre climat tempéré. Une autre raison semble être qu’il existe une utilisation économique bien connue du bois, mais que ceux qui vivent dans les régions du monde soumises à quatre saisons ne sont pas conscients des utilisations massives et durables des fibres de bambou, ni des forêts de varech.

                    Le Brésil est, après la Chine et la Russie, le troisième plus grand consommateur d’amiante au monde. L’amiante n’a pas été remplacé par des alternatives synthétiques, car celles-ci sont plus coûteuses. L’amiante étant largement utilisé dans les logements sociaux, il n’y a pas eu de leadership politique pour imposer un toit plus cher en échange d’un environnement de vie plus sain. Si tout l’amiante du Brésil était remplacé par des fibres de bambou, le Brésil devrait alors procéder au reboisement et à la récolte annuelle d’environ 4 millions d’hectares de bambou. Cela permettrait de séquestrer l’équivalent de 160 millions d’hectares de forêts de pins à croissance rapide. Si la Colombie devait remplacer son amiante – importé du Canada – elle aurait besoin, grâce à son espèce de Guada la plus efficace, d’environ 100 000 hectares, soit 4 millions d’hectares d’arbres. La Chine, pays du bambou par excellence, absorberait tout le dioxyde de carbone qu’elle émet pour répondre aux besoins énergétiques si cette option était retenue.

                    Les forêts de bambous couvraient autrefois de grandes parties de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique latine. Lorsque les colonisateurs espagnols sont arrivés sur les hauts plateaux d’Amérique du Sud, ils ont trouvé d’immenses forêts de bambous. En fait, les régions connues aujourd’hui pour le café étaient autrefois couvertes de bambous. Les fibres de bambou, en tant que matériau de renforcement dans le ciment, ont une longue durée de vie économique, ce qui garantit que le carbone n’est pas immédiatement libéré dans l’atmosphère. Tout le monde s’accorde à dire que l’amiante doit être éliminé pour des raisons de santé, mais si l’Amérique latine, l’Afrique et l’Asie continuent d’utiliser ce minéral toxique, ou son coûteux substitut synthétique, nous avons une belle occasion d’inverser le changement climatique.

                    Le bambou n’est pas la seule espèce à pouvoir être promue, mais comme il existe quelque 1 200 espèces de bambous, on pourrait en identifier une pour presque chaque type de climat, à l’exception des climats tempérés et froids. Dans toutes les régions clés du monde où l’amiante est utilisé, des espèces locales de bambou sont disponibles. L’élément le plus attrayant est peut-être le fait que les espèces de bambou n’ont pas besoin d’un sol riche et ne feraient donc pas concurrence à l’agriculture. Collines escarpées, terrains érodés, friches industrielles chargées de métaux lourds, on peut identifier les principales zones du monde qui n’ont pas d’utilité économique. Le bambou ne récupère pas seulement la terre par la création d’une nouvelle couche d’humus, il aide également à la reprise du cycle hydrologique, en réintroduisant les eaux souterraines qui avaient été débilitées en raison de la mauvaise gestion de la couche arable et de la végétation. 

                    Aucun des objectifs fixés dans tous les accords possibles n’a été atteint. Nous nous abstenons de participer aux grandes réunions et nous nous concentrons sur la mise en œuvre de projets qui reposent toujours sur le principe de l’absence d’émissions. En 2001, il a été décidé de libérer la marque et de la mettre à la disposition de tous pour une utilisation gratuite.

                    12. Matériaux 

                      • « De 1950 à 1988, les captures de poissons océaniques sont passées de 19 millions à 88 millions de tonnes, soit une croissance beaucoup plus rapide que celle de la population. Les prises par habitant sont passées de moins de 8 kilogrammes en 1950 au pic historique de 17 kilogrammes en 1988, soit plus du double. Depuis 1988, cependant, la croissance des captures s’est ralentie et est devenue inférieure à celle de la population. Entre 1988 et 1997, les prises par personne sont tombées à un peu plus de 16 kilogrammes, soit une baisse d’environ 4 %.  » (p. 49)

                      Étant donné que le modèle actuel de production et de consommation n’utilise qu’une petite fraction de chacune des matières produites par la Terre ou extraites de celle-ci, il y a peu de chances de répondre aux besoins de la population, sans parler de la production massive de déchets. Lorsque la partie soluble du caféier, qui finit dans une tasse de café, ne représente pas plus de 0,2 %, il n’est pas surprenant que le caféiculteur ait du mal à joindre les deux bouts. Les agriculteurs sont soumis aux variations volatiles des prix du marché international. Lorsque les longues fibres de sisal et de fique ne représentent que 2 % et que le reste est gaspillé, il n’est pas surprenant que l’alternative synthétique s’empare rapidement du marché. La liste de la production massive de déchets est longue.

                      L’utilisation du bambou pour la construction dans les hautes terres tropicales offre une perspective très différente : un bambou de 20 mètres de long peut être utilisé à presque 100 %. La partie principale de la tige – environ 9 mètres de long – est utilisée comme (1) matériau de construction structurel, (2) les racines en forme d’arche servent de support, (3) le sommet du bambou sert à de petites décorations, (4) le reste de la tige est utilisé comme combustible pour le processus de vaccination, (5) les feuilles sont utilisées pour la culture des champignons, et (6) les brindilles finissent également dans le feu couvant de la vaccination. On a estimé que le bois utilisé dans la construction d’une maison américaine représente rarement plus de 20 % de la biomasse générée à l’origine par l’arbre. L’utilisation intégrale de matériaux tropicaux offre une vision claire de la manière dont le modèle de production de l’avenir sera bien mieux à même de répondre aux besoins urgents de la population.

                      La même logique s’applique à la bière, généralement produite dans les centres urbains. Les drêches sont aujourd’hui expédiées à des éleveurs de bétail situés à des centaines de kilomètres, ou simplement mises en décharge, voire incinérées. Cette option n’est pas idéale. Il suffirait d’ajouter une boulangerie à la brasserie pour récupérer toutes les protéines qui seraient autrement perdues. Le livre « UpSizing » (Pauli, 1998) offre des centaines d’exemples de la façon dont notre utilisation inefficace actuelle des matériaux peut être inversée, conduisant à une nouvelle économie où l’utilisation productive de tous les composants est certaine de conduire à un renversement fondamental des tendances actuelles.

                      Cela s’est cristallisé dans le principe de base : utiliser ce que vous avez, et générer de la valeur.

                      13. Urbanisation

                          • “Les villes du monde croissent plus vite que sa population. En 1950, 760 millions de personnes dans le monde vivaient dans des villes. En 1998, ce chiffre avait au moins triplé, pour atteindre plus de 2,7 milliards. Le nombre de personnes qui devraient vivre dans les villes d’ici 2050, soit 6,2 milliards, dépasse la population mondiale actuelle » (p. 81).

                        Le principal renversement à concevoir est l’inversion de l’actuelle poussée des campagnes vers les villes, pour passer d’abord à un gel des campagnes et finalement à un retour aux zones rurales. L’exode rural actuel est le résultat d’un manque d’opportunités visibles à la campagne, car les parcelles de terre déjà petites sont divisées, puis divisées à nouveau à chaque génération, jusqu’à ce qu’elles deviennent si petites que les gens ne peuvent plus imaginer comment en vivre avec le modèle de production actuel, qui ne se concentre que sur un seul matériau et rejette tout le reste comme des déchets. Il existe quelques cas qui démontrent que la tendance peut être inversée.

                        La taille moyenne d’une exploitation de café colombienne est tombée à 1,6 ha, contre 4,5 ha il y a seulement 25 ans. Il est difficile de survivre avec une famille sur une si petite parcelle de terre, en ne cultivant que du café. Mais si l’on peut faire pousser des champignons sur les feuilles, les brindilles et les caisses de café, on peut générer un premier flux de revenus supplémentaires immédiats. Si, en plus, on peut donner de la valeur aux bambous qui poussent le long des ruisseaux dans les collines escarpées où il n’est pas possible de cultiver du café, en ajoutant de la valeur par une simple technique d’immunisation, un autre revenu peut être assuré. L’érosion des sols peut être combattue en plantant de la citronnelle le long des racines, qui est une huile essentielle populaire dont la demande est mondiale. Un membre de la famille pourrait devenir un expert en constructions en bambou, un autre en immunisation, un autre en champignons, un autre en huiles essentielles et bien sûr on garde l’expertise en café. La ferme de café intégrée sera très différente de la fazenda actuelle où le fermier a du mal à imaginer comment survivre. La famille n’étend pas ses terres, ni ne se diversifie dans de nouveaux domaines. Elle utilise simplement ce dont elle dispose et ce qui peut être utilisé de manière productive. Le temps est venu pour l’humanité de devenir un véritable « homo sapiens ».

                        Le développement de Las Gaviotas dans les Llanos colombiens a créé une communauté durable de 11 000 hectares à partir de rien. Si l’on parvenait à faire de même dans 6 millions d’hectares de la savane colombienne et vénézuélienne, qui est confrontée au même défi, il serait alors possible de créer quelque 120 000 emplois tout en boisant massivement la région. Le développement des régions du Nord et de l’Amazonie du Brésil selon des principes similaires n’est pas seulement techniquement réalisable, il est même sous-tendu par une forte logique économique. Si la création d’emplois et de valeur ajoutée est suffisamment démontrée par l’utilisation durable de toutes les ressources, il sera alors possible non seulement de garder les gens heureux à la campagne, mais aussi d’attirer davantage de familles pour qu’elles établissent un moyen de subsistance durable, au lieu d’affronter un avenir sombre dans des villes surpeuplées.

                        La recherche d’une productivité toujours plus élevée dans l’État du Para a conduit à la fermeture de quelque 11 moulins à bois. Comme ces usines étaient situées au cœur de la forêt, il est difficile d’imaginer une création d’emplois alternative à cette utilisation non durable d’une ressource naturelle protégée au niveau international. Cependant, la réutilisation de la jacinthe d’eau pour reconstituer le sol, la récolte de champignons tropicaux/médicinaux et la transformation de champignons cultivés à l’aide de pièces de l’ancienne scierie donnent une idée claire de la manière dont des emplois peuvent être créés, mais surtout de la manière dont il est possible de restaurer un environnement qui a souffert de l’intrusion humaine.
                        Bien que cette approche ne soit pas réalisable du jour au lendemain et qu’il faille parfois des décennies pour prouver sa viabilité, comme dans le cas de Las Gaviotas, ce sont ces efforts pionniers qui permettent l’émergence d’une nouvelle vision.

                        C’est pourquoi les nouveaux projets comme El Hierro discutent du pouvoir de la re-ruralisation, au lieu d’étudier l’urbanisation et ses effets sur la vie et les communautés. Il est nécessaire de renforcer les moyens de subsistance des communautés rurales.

                        14. Espaces naturels protégés

                          • »La croissance démographique de ces 50 dernières années a rendu difficile la mise en réserve et la conservation des zones naturelles. Un autre demi-siècle de croissance exercera encore plus de pression sur les zones protégées, alors que des établissements autrefois petits et éloignés empiètent sur ces sites et que le nombre de personnes qui les utilisent explose. » (p. 85)

                          Le principal inconvénient des zones naturelles protégées est qu’elles ont été fermées à l’activité humaine. Pire encore, la seule initiative économique autorisée est l’introduction du tourisme, qui, dans de nombreux cas, offre les rendements économiques les plus élevés et les plus rapides, mais qui, d’un autre côté, a également un impact négatif.

                          L’utilisation économique durable des zones naturelles protégées est une nécessité. Alors que l’omniprésence de l’homme ne doit pas être encouragée, des activités sélectives et bien ciblées peuvent être entreprises afin de garantir la viabilité à long terme de ces zones. Le parc naturel de la Sierra Nevada de Santa Martha, où se trouve la chaîne de montagnes côtières la plus élevée du monde, qui s’élève à quelque 5 900 mètres du bord de mer, abrite l’une des biodiversités les plus riches du globe grâce à ses multiples microclimats. C’est également là que se trouve la Cité perdue. Cependant, le parc et les sites archéologiques sont fermés au public. Bien qu’il faille reconnaître les raisons de sécurité liées aux drogues illicites, le parc abrite une collection unique d’orchidées qui pourraient être multipliées et vendues à des prix très élevés sur les marchés internationaux. Elle abrite également des champignons médicinaux qui peuvent être récoltés sans aucun risque de dommage pour l’environnement.

                          Les initiatives exceptionnelles de l’UNESCO concernant l’homme et la biosphère et le patrimoine culturel mondial donnent un aperçu des problèmes qui sont créés et des opportunités qui sont manquées. Il ne fait aucun doute que la simple préservation de ces zones n’offre pas une garantie de survie. Une stratégie ciblée pour des activités économiques durables peut soulager la pression par la génération de revenus, tout en fournissant les fonds nécessaires à une réelle préservation des zones.

                          Nous sommes passés de la protection à la régénération des réserves naturelles, en concevant des moyens de remettre la nature sur le chemin de l’évolution.

                          15. Education

                            • »Le besoin mondial d’enseignants et de salles de classe augmentera très lentement au cours du prochain quart de siècle et diminuera par la suite. Au niveau mondial, la population totale devrait augmenter de 47 pour cent entre 2000 et 2050, mais le nombre d’enfants de moins de 15 ans diminuera en fait d’environ 3 pour cent. » (p. 89))

                            Les méthodes d’enseignement actuelles sont clairement insuffisantes pour doter les gens des outils nécessaires pour devenir autonomes dans leurs besoins quotidiens. Le système éducatif qui « expose mais n’impose pas », qui « atteint mais n’enseigne pas » tel qu’il est appliqué par la Fondation ZERI (et d’autres) offre une chance d’inverser les tendances actuelles conduisant à l’insuffisance de l’autonomie. L’exercice réalisé à la Montfort Boys Town de Fidji indique que lorsque les enfants non seulement apprennent un métier, mais acquièrent également la capacité de fournir leur propre nourriture et énergie après avoir obtenu leur diplôme et être retournés dans l’une des 600 îles habitées de Fidji, ils ont une chance de trouver confort et qualité de vie dans les régions reculées du globe.

                            La même approche a récemment été introduite dans les colonies d’orphelins infectés par le VIH à Mutare, au Zimbabwe. La stratégie visant à garantir que les gens ne se contentent pas d’obtenir un diplôme, d’apprendre à lire et à écrire, mais qu’ils acquièrent également la capacité de se nourrir, de boire, de se soigner et même de se loger, même dans les conditions les plus défavorables, est probablement l’un des meilleurs remèdes contre la pauvreté et l’une des meilleures contributions de l’éducation aux communautés locales que l’on puisse imaginer.

                            Le programme d’éducation s’est révélé être un exercice étonnant de développement d’une nouvelle pédagogie qui a entre-temps été adoptée en Chine. Là-bas, toutes les fables sont distribuées à toutes les écoles, et les livres sont reconnus par la Fondation Alibaba comme les meilleurs livres sur la nature du pays.

                            16.Déchets

                                « Les données relatives à la production de déchets dans le monde en développement sont rares, mais on estime que les citoyens de bon nombre de ces pays produisent environ un demi-kilo de déchets municipaux par jour. Si l’on applique ce chiffre à la population actuelle, ce sont 824 millions de tonnes de déchets municipaux qui sont produits chaque année dans les pays en développement. La seule croissance démographique ferait passer ce chiffre à 1,4 milliard de tonnes d’ici à 2050. Mais un monde en développement produisant autant de déchets par habitant que les pays industriels aujourd’hui produirait quelque 3,4 milliards de tonnes de déchets municipaux d’ici 2050 » (p. 93-95).

                            La reconversion d’anciennes cimenteries désaffectées, comme c’est le cas à Stockholm (Suède) et comme c’est prévu en Colombie et au Brésil, offre la possibilité de repenser fondamentalement le problème des déchets.
                            D’une part, les usines désaffectées qui symbolisent des désastres sociaux et environnementaux sont capables de se convertir en moteurs du développement local, tout en rendant à l’agriculture et à la sylviculture les terres fertiles qui leur avaient été enlevées. L’usine de ciment transformée en compost s’assurera également qu’il n’y a pas de lixiviation, que l’excès de dioxyde de carbone est entièrement récupéré et que le CO2 et la chaleur peuvent être utilisés pour la culture de salades et de tomates toute l’année à des prix compétitifs.

                            Comme la plupart des cimenteries sont équipées de silos et de quais, le transport par camion peut être réduit de manière drastique, tandis que le coût de production du compost peut être réduit au point de concurrencer parfaitement les engrais synthétiques. Avec une production de 500 à 1 000 tonnes par jour, le lien entre les zones urbaines et rurales est non seulement sécurisé, mais aussi économiquement bénéfique. Le problème n’est pas la production, mais plutôt le défi de trouver des acheteurs sur le marché.

                            Le programme lancé par Bedminster en Suède et développé par Taiheiyo Cement au Japon donne un aperçu du potentiel offert par les déchets municipaux solides et identifie les problèmes liés aux déchets qui doivent être traités en priorité. Il est clair qu’il n’existe pas de solution immédiate et complète, mais l’accumulation, par exemple, de déchets organiques humains dans les couches, permet de rechercher une solution plastique compostable. Quelques mois à peine après le lancement du programme de compostage de Bedminster à Stockholm, un groupe d’entrepreneurs a lancé une couche compostable qui a immédiatement reçu un accueil enthousiaste de la part du marché. En effet, tout le monde s’accorde à dire qu’étant donné que le contenu doit être naturel et que son utilisation est limitée à quelques heures, il n’est pas logique de l’emballer dans trois plastiques différents qui non seulement contaminent, mais rendent également impossible le compostage de son contenu.

                            La combinaison des secteurs afin d’assurer la transformation des déchets en ressources a été mise en œuvre dans diverses constellations : le ciment et le compostage de la composante organique des déchets solides municipaux (DSM) ont été complétés par le mélange des boues des stations d’épuration des eaux usées avec les DSM afin de générer du gaz dans un volume tel que les sommes gagnées couvrent toutes les dépenses de traitement des eaux usées tout en réduisant de moitié les déchets mis en décharge.

                            17.Conflits

                                   « Tout au long de l’histoire, la croissance démographique a fonctionné en tandem avec des perturbations socio-économiques et politiques pour faire basculer des situations instables. La croissance démographique rend les choses plus précaires. »  (p. 97)

                            ZERI travaille activement dans l’une des sociétés les plus violentes du monde : la Colombie. Alors que le pays est en proie à une crise sociale, économique et environnementale manifeste, c’est aussi la nation où la plupart des efforts sont entrepris pour transformer le modèle économique inefficace actuel en un système de production et de consommation dont le monde pourrait s’inspirer. Las Gaviotas à Vichada n’opère pas seulement dans une zone très dégradée sur le plan environnemental, elle est hostile à ses habitants, notamment en raison du manque d’eau potable de qualité, responsable de 70% des maladies. C’est aussi la zone où la guérilla et les paramilitaires sont les plus actifs.

                            Pourtant, c’est précisément là qu’émerge une nouvelle société autosuffisante. Une société basée sur le transport à vélo. Si l’on utilisait une voiture, la guérilla la prendrait sous la menace d’une arme, et si la guérilla ne prend pas la voiture sous la menace d’une arme, alors les paramilitaires sont convaincus que l’on collabore avec la guérilla, et peuvent tout simplement vous assassiner. La bicyclette est donc le symbole d’une société non violente, puisque ni la guérilla ni les paramilitaires ne sont intéressés par la bicyclette.

                            Les hauts plateaux colombiens sont restés un îlot de paix. Mais avec une baisse du prix du café estimée à 17 % et une pression croissante sur l’utilisation des terres en raison de l’explosion démographique, il existe un danger persistant que les régions qui sont restées stables tombent dans l’insurrection. C’est pourquoi un effort particulier est entrepris en parallèle : l’un au Vichada où la violence sévit déjà, et l’autre dans les zones qui, espérons-le, ne tomberont jamais dans l’agression. Le facteur déterminant est simple : répondre aux besoins urgents de la population en termes de nourriture, d’eau, de soins de santé, d’abris et d’emplois.

                            Les programmes ZERI comprennent une méthode innovante pour assurer la résolution des conflits. Cet article a été publié sur le site de l’économie bleue.

                            The ZERI programs include an innovative way to ensure conflict resolution. This has been published on the Blue Economy website.

                            18.La production de viande

                                « La production mondiale de viande est passée de 44 millions de tonnes en 1950 à 216 millions de tonnes en 1998, soit une croissance presque deux fois plus rapide que celle de la population. La consommation totale de viande passerait de 216 millions de tonnes à 481 millions de tonnes en 2050, soit un gain de 265 millions de tonnes. Si l’on suppose une moyenne de 3 kg de céréales par kilo de viande produite, cela nécessiterait près de 800 millions de tonnes d’aliments céréaliers supplémentaires en 2050, soit une quantité égale à la moitié de la consommation mondiale actuelle de céréales »( p. 102-104).

                            L’accent mis sur une simple conversion des protéines végétales en protéines animales constitue le principal goulot d’étranglement. Il existe une troisième source de protéines qui reste totalement inutilisée : les protéines de champignons. Il est assez difficile de comprendre comment il a été possible que le monde s’abstienne de prêter attention à cette riche ressource en nutriments, minéraux et vitamines. Après avoir cultivé des champignons sur des déchets de café ou de la paille de riz, la cellulose, autrement difficile à digérer, a été décomposée et le substrat est enrichi en protéines. Le mycélium contient jusqu’à 38 % de protéines, ce qui permet une consommation directe par le bétail (lorsqu’il n’y a pas de bois), ou une utilisation indirecte (à partir de substrats de bois) par la culture de vers de terre, qui sont riches en protéines.

                            L’agriculture rejette des millions de tonnes de paille, de cosses, de granulés, et il existe dans la nature des ressources massives considérées comme des mauvaises herbes, telles que la jacinthe d’eau, le bambou et le rotin (qui ne peuvent pas être données directement au bétail). Tout cela peut être converti en aliments pour bétail grâce à un traitement fongique. Le potentiel est assez impressionnant, la technique est assez simple. La conversion pourrait être complète en quelques semaines dans un climat tropical. Si l’on souhaite conserver un régime à base de champignons, la fructification serait possible en moins d’un mois d’inoculation. Ce procédé offre l’un des générateurs d’aliments pour animaux et de denrées alimentaires les plus efficaces, avec une capacité unique d’adaptation aux préférences des consommateurs en termes de régimes végétariens et non végétariens.

                            Ce processus nécessite une conversion du modèle de production, mais il offre une chance de garantir un approvisionnement minimal en protéines animales à des milliards de personnes qui n’ont aujourd’hui aucun accès aux protéines, quelle qu’en soit la source. Si, d’un point de vue sanitaire, il est insensé de se contenter de convertir des protéines végétales et fongiques en protéines animales, cela nous permet au moins d’entrevoir au bout du tunnel qu’il est possible de répondre aux besoins de cette masse critique de personnes.

                            Les programmes pour la nourriture élargissent le portefeuille des plantes ou des animaux, pour inclure les champignons et les algues. Cette démarche s’inspire également du fait que la vitesse de passage de la graine à l’aliment est beaucoup plus rapide que ce qu’une plante ou un animal peut imaginer. En termes de capacité à produire de la nutrition, les algues et les champignons offrent un multiple. Cela offre une perspective sur les systèmes alimentaires qui pourraient un jour éliminer la faim.

                            19. Revenus

                                       « La production économique mondiale, c’est-à-dire le total de tous les biens et services produits, est passée de 6 000 milliards en 1950 à 39 000 milliards en 1998, soit une croissance près de trois fois supérieure à celle de la population. La croissance de la production entre 1990 et 1998 a dépassé celle des 10 000 années écoulées entre le début de l’agriculture et 1950. Si l’économie devait se développer uniquement pour couvrir la croissance démographique jusqu’en 2050, elle devrait atteindre 59 000 milliards. Si l’économie devait continuer à se développer au rythme de 3 % par an, la production économique mondiale atteindrait 183 000 milliards en 2050. » (p. 105-108)

                            L’économie croît à un rythme presque record. La mauvaise nouvelle est que l’économie, telle qu’elle est structurée actuellement, dépasse l’écosystème de la Terre. Cela est dû au fait que nous avons un modèle de production et de consommation linéaire, centré sur les activités principales, qui néglige totalement le besoin de productivité matérielle, tant au niveau de la production que de la consommation.

                            Si le modèle économique exploite enfin pleinement toutes les matières premières, et s’il exploite complètement en cascade le potentiel de production d’énergie, alors l’économie sera en mesure de répondre à cette dramatique explosion démographique à laquelle nous devons de toute façon faire face. Paradoxalement, la seule industrie qui utilise presque à 100 % les matières premières fournies par la Terre est l’industrie pétrolière et pétrochimique. La plus grande industrie non renouvelable domine l’économie mondiale, dérivant quelque 100 000 produits d’une seule source brute. Elle fait l’une des utilisations les plus efficaces de ses ressources disponibles au niveau mondial.

                            Si toutes les industries de transformation craquaient les matières premières avec la même efficacité que l’industrie pétrolière, alors nous aurions une énorme révolution dans la productivité, fournissant plus de biens et de services jamais imaginé, tout en créant des millions d’emplois (et donc de revenus), permettant de répondre à la demande massive non satisfaite, comme en témoigne le milliard de personnes qui survivent dans la pauvreté absolue. C’est cette augmentation de la productivité qui générera les revenus qui permettront aux pauvres d’acheter les produits que ces bioraffineries produiront.

                            Les premières bioraffineries ont été imaginées dans les années 1990 et sont aujourd’hui mises en œuvre. Ces projets, dont les investissements se chiffrent en centaines de millions, témoignent de la volonté d’investir dans de nouveaux modèles de production offrant aux agriculteurs un revenu supérieur au prix du marché mondial. Cela permettra enfin d’inverser la tendance selon laquelle les agriculteurs, les pêcheurs et les mineurs sont les plus mal payés alors qu’ils doivent être les gardiens de nos écosystèmes.

                            20. Conclusion

                            Le modèle économique actuel est incapable de répondre aux besoins de la population mondiale car il n’applique tout simplement pas sa propre théorie. Il est difficile de comprendre que l’on se concentre sur la productivité du travail et du capital, tout en gaspillant massivement et de manière myope les ressources naturelles. Les économistes et les cadres dirigeants font preuve d’un état avancé d' »Homo non sapiens », des personnes qui ne semblent tout simplement pas savoir comment répondre aux besoins des gens avec les ressources disponibles.

                            Le changement de la structure de la production et de la consommation est le plus grand défi. Il s’agit ni plus ni moins d’une refonte de l’économie, un véritable défi de réingénierie. La production de biens et de services supplémentaires doit aller de pair avec la création de valeur ajoutée, qui conduit à la génération de revenus et d’emplois. Dans la mesure où le chômage est massif et où les besoins insatisfaits sont inégalés, le monde a une occasion unique de concevoir et d’évoluer vers un système de production capable de répondre aux besoins de la population. Le concept de bioraffinerie, promu par le professeur Carl-Goran Heden, est essentiel à cette conversion du modèle économique.

                            Il est clair que nous ne pouvons pas compter sur un organe central, un cerveau intelligent capable d’envisager cela pour chacun, partout dans le monde. Le modèle de production qui doit être installé doit évoluer selon des principes simples de la nature : « tout ce qui vit crée des déchets, mais aucun déchet n’est gaspillé ». Ce qui n’est pas utile à l’un est un intrant pour l’autre, et ainsi le système se régénère grâce à l’apport permanent d’énergie solaire. Cela offre les conditions essentielles qui permettent de réduire la pauvreté dans un premier temps, et de générer une qualité de vie par la suite.
                            La mise en œuvre rapide et réussie de ce nouveau modèle de production et de consommation dépend en premier lieu d’une décentralisation généralisée de la production, de la distribution et de la prise de décision. Si le modèle de la nature est imité, les innombrables inefficacités du système centralisé actuel seront éliminées. Des emplois et des revenus locaux seront générés, et les problèmes de gaspillage massif qui dominent les concentrations de personnes s’évaporeront progressivement.

                            L’accent mis sur la productivité totale (travail, capital et matières premières) nous permet d’imaginer une économie qui génère plus d’emplois, plus de revenus, plus de produits tout en réduisant les déchets à néant. C’est le modèle socio-économique du 21ème siècle. Il n’implique aucune révolution dans la théorie économique, il prévoit simplement l’application de ce qu’Adam Smith (Smith 1776) a si clairement envisagé il y a plus de deux siècles.

                            C’est maintenant que nous avons enfin la possibilité de repenser et de concevoir une économie qui contribue au bien commun.

                            References
                            Brown, Lester and Gary Gardner. Beyond Malthus : Nineteen Dimensions of the Population Challenge. Norton Press, New York, USA, 1999, 168 p.
                            Pauli, Gunter. UpSizing: the road to zero emissions – more income, more jobs and zero pollution. Greenleaf Publications, London, UK, 1998, 224 p.
                            Smith, Adam. The Wealth of Nations. 1776

                            Gunter Pauli (1956) a une formation d’économiste. Il a travaillé pendant cinq ans avec le Dr. Aurelio Peccei, fondateur du Club de Rome et a été l’éditeur du State of the World Report, la publication phare du Worldwatch Institute pendant plusieurs années dans plusieurs langues européennes. Il a organisé des présentations pour Lester Brown devant les parlements nationaux d’Europe et le Parlement européen.
                            Il a contribué à la création du Worldwatch Institute Europe. Il est l’auteur de +20 livres qui
                            qui ont été publiés dans +40 langues. Ses livres témoignent d’une recherche permanente et créative d’un nouveau modèle de production permettant de répondre aux besoins des populations, notamment dans les pays en développement.